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S’adapter et survivre

23/05/2021

Adapt and survive. Stage 15 of the Giro d'Italia 2021

À la veille de la grande étape des Dolomites, le Giro a tourné autour de la frontière slovène et traversé des terres où chaque hameau a cinq noms ou plus, en italien, slovène, allemand, frioulan et bisiacco.

La frontière a changé tellement de fois, on croirait parfois que des villes entières ont été déplacées : Gornje Cerovo, avec sa triple ascension de 4e catégorie, s’appelait auparavant Cerovo Gorenje. En italien, on parle de Cerò di Sopra, anciennement Cerou di Sopra oi Cerou Superiore ; en allemand, il s’agit d’Ober Cerou, et en frioulan, Cerò di Sore. Le village a appartenu successivement au Saint-Empire romain germanique, au Royaume ostrogoth, à l’Empire byzantin, au royaume des Lombards, au duché du Frioul, au Regnum Italiae, aux Marches austro-italiennes, au Regno d’Italia, à la République de Venise, à l’empire des Habsbourg, au Royaume d’Italie de Napoléon, à l’OZAK (la zone d’opération du Littoral adriatique, un district créé par les nazis en 1943), la zone A de la Vénétie julienne sous le gouvernement militaire allié des territoires occupés, la Yougoslavie, et maintenant la Slovénie. L’histoire est intense dans cette partie du monde et les populations ont dû apprendre à s’adapter à un monde mouvant.

Les cyclistes aussi doivent s’adapter. Les magazines et les entreprises modernes voudraient nous convaincre que tout repose sur les données physiologiques mais ils cachent une vérité bien plus sombre. Avant que leur consommation d’oxygène ou leur production de watts par kilo soient mesurées en laboratoire, la plupart des talents cyclistes ont abandonné, par eux mêmes ou sous la pression de parents anxieux. Les chutes sont trop fréquentes et trop douloureuses. Les blessures cyclistes les plus communes (abrasions, peaux arrachées…) sont une torture et les brûlures filmées depuis l’hélicoptère après la chute du début d’étape nous ont fait frémir. La première qualité du futur professionnel n’est pas la vitesse ou la force, mais la capacité à toujours avancer, qu’importe la douleur.

On peut en dire autant du record de l’heure : toute la science (la planification, l’entraînement) s’exprime avant l’événement. L’exécution est une épreuve laborieuse et douloureuse. Mais, si l’essence du succès dans le cyclisme sur route peut se résumer à “la clarté des pensées face à l’épreuve physique”, il y a des exceptions. Jusqu’à aujourd’hui, on aurait pu accuser Victor Campenaerts de repousser les limites de l’épreuve physique et d’en oublier une certaine lucidité.

Dans la 4e étape, il a attaqué dès le km 0 avec Quinten Hermans, s’est obstiné pendant 40 minutes et a finalement réussi à former l’échappée du jour mais, après une telle débauche d’énergie, il ne lui restait plus rien pour lutter pour la victoire d’étape. Ensuite, lors de la 8e étape, après une soixantaine de kilomètres d’attaques et de contre-attaques, un groupe de huit coureurs s’est détaché. Campenaerts s’est lancé à leur poursuite, a fait la jonction et, après une telle poursuite, il ne pouvait plus espérer briller dans le final.

Après l’étape du jour, il a déclaré : “On n’a pas les mecs dans l’équipe pour faire les arrivées au sommet, et les étapes qui viennent sont extrêmement dures, donc on a décidé de jouer notre va-tout aujourd’hui. On a tout donné dès le départ. Quand il y a eu la chute, on était déjà devant avec la moitié de l’équipe. Quand la course est reparti, on a refait la même chose.”

Avec trois coureurs parmi les quinze échappés, Team Qhubeka Assos faisait aussi face à une des plus grandes problématiques du cyclisme : comment faire peser un avantage numérique. Quand Campenaerts a attaqué avant un virage à droite à 22,5km du but, seuls Albert Torres, le spécialiste de la piste, et Oscar Riesebeek, en quête d’une première victoire sur la route à 28 ans, l’ont suivi. Dries De Bondt, qui s’était consumé en chassant les points en cours d’étapes, dans les sprints et les montées, a contenu les poursuivants dans cette courbe, permettant au trio de s’échapper. Les Alpecin-Fenix se réjouissaient de cette physionomie de course.

Sous une pluie battante, Campenaerts semblait dilapider ses forces dans une succession d’attaques vaines. À 300m de la ligne, Riesebeek l’a dépassé au sprint. Mais il était trop tôt. Son rival avait encore le temps de le reprendre et de signer sa première victoire sur le Giro, après quatre places de deuxième et une autre de troisième. Avec trois victoires jusqu’à présent, son équipe aussi a appris à s’adapter.

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